Anamosa édite « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde » de Pierre Tevanian et Jean-Charles Stevens, un livre qui nous invite à opter toujours « pour l’hospitalité ».
Créée en 2016, Anamosa, maison d’édition indépendante, propose essentiellement des ouvrages de sciences humaines, qui explorent de différentes manières de nombreux champs de notre société et de l’histoire, et qui questionnent le monde dans lequel nous vivons. Le catalogue se veut un espace de liberté d’écriture et de narration pour les autrices et auteurs, afin que chacun·e puisse partager son savoir de la façon la plus accessible possible.
Anamosa fait partie du collectif Les désirables.
Dans la veine propre à la collection Le mot est faible, ce nouveau titre revient, sous l'angle du droit, sur l'histoire de la nationalité française inventée à la fin du xixe siècle et utilisée depuis pour fabriquer des étrangers et les soumettre à des régimes plus ou moins sévères et cruels suivant les besoins du marché du travail.
De définition univoque de l'étranger. Il se définissait par défaut comme celui qui n'appartient pas à la communauté et il existait donc autant de figures de l'étranger que de manières inventées par les humains de former communauté. Ce flou entourant la notion d'étranger a aujourd'hui disparu. L'État-nation s'est approprié le concept pour en dessiner les contours au scalpel : l'étranger est celui qui n'a pas la nationalité de l'État sur le territoire duquel il se trouve. Désormais attribuée de manière certaine par l'effet du droit, la nationalité sépare irrémédiablement le national et l'étranger pour soumettre ce dernier à un régime spécial, arbitraire, plus ou moins sévère et cruel suivant les besoins de l'économie et les considérations politiques du moment. Et lorsqu'on se penche sur la condition des personnes étrangères en France, on observe un droit ségrégationniste - ce qui semble largement admis - et un racisme systémique de l'État et ses institutions, qu'elles nient avec un cynisme de moins en moins feutré.
L'un des enjeux de l'ouvrage est de montrer que la catégorie d'étranger - opposée à celle du national - n'a rien de naturel. En revenant sur la fabrique de la nationalité française à la fin du xixe siècle, on comprend qu'elle n'est pas un attribut de la personne humaine et que la qualité d'étranger, définie en creux, l'a été depuis son origine par l'État à des fins utilitaristes. Satisfaire le marché du travail et organiser la ségrégation des candidat·es suivant leur origine, voilà les deux axes inconditionnels de la politique migratoire française. Lorsque le besoin de main-d'oeuvre peu qualifiée baisse dans la dernière partie du xxe siècle, la France puis l'Europe tout entière cherchent à entraver l'arrivée de nouveaux migrants , notamment grâce à des systèmes juridiques et policiers toujours plus sophistiqués. Ces dispositifs de gestion des flux obligent les personnes qui veulent gagner l'Europe à mettre leur vie en jeu et - c'est un phénomène nouveau - elles sont des milliers à mourir chaque année sur les routes de l'exil.
Si tout cela est possible, s'il existe des milliers d'agents étatiques pour mettre quotidiennement en oeuvre ces politiques inégalitaires et féroces, c'est qu'elles sont largement habillées par le droit. Le droit est en effet un outil terriblement efficace : il confère à cet édifice macabre sa légitimité, tandis que l'enchevêtrement des textes et l'abstraction des catégories juridiques tiennent le réel à distance.
Classe : historiquement, le mot est fort, associé à une remise en cause radicale de l'ordre social ; aujourd'hui, il est affaibli et ne cristallise plus les oppositions politiques, alors que les inégalités de conditions de vie et de travail sont toujours présentes. Il s'agit ici de redonner son tranchant à la classe sociale comme concept et instrument politique d'émancipation.
Pour point de départ, il y a un paradoxe : le mot classe se trouve affaibli aujourd'hui, alors même que la domination capitaliste se radicalise depuis quarante ans. Le sens associé au concept s'est en effet transformé ; le pluriel (classes populaires, classes supérieures ou classes dominantes) a remplacé le singulier de la classe ouvrière et de la bourgeoisie pour désigner les classes et, chez les chercheurs en sciences sociales, l'accent est mis sur la pluralité des conditions socio-économiques et des rapports à la culture et à la politique davantage que sur les formes d'unité. Dit autrement, la classe ouvrière ne constitue plus le sujet historique des transformations sociales dans le discours et l'organisation des forces de gauche.
Pour comprendre le paradoxe, il est nécessaire de faire évoluer la définition du mot en lien avec les transformations du capitalisme. L'affaiblissement de la classe est alors à mettre en relation avec la fin d'une configuration historique spécifique : les nouvelles formes de capitalisme qui se sont développées depuis les années 1970 nécessitent de repenser le concept de classe en tant qu'elles fabriquent un type de rapport d'exploitation mais aussi de marchandisation de la monnaie, du travail et de la nature. Ces transformations ne sont pas uniquement économiques, elles se jouent aussi dans les formes de sociabilités, de solidarités et de culture dans lesquelles se forment et se reforment les classes sociales. Ces recompositions sociologiques impliquent dès lors de rompre avec la vision d'une classe ouvrière synonyme de prolétariat industriel pour en redéfinir les contours.
Redonner sa force au mot classe implique également de ne pas en faire un isolat et une chose statique, qui nierait d'autres formes de dominations telles que le genre et la race. Autrement dit, les inégalités de genre, de race ou d'origine migratoire ont une base matérielle dans le capitalisme contemporain qu'il s'agit de prendre au sérieux. La configuration contemporaine invite ainsi à réinventer le processus d'affirmation du mot de classe, en y articulant positivement dans une perspective d'émancipation l'imbrication des rapports de domination. De ce point de vue, les expériences des luttes sociales récentes (par exemple la mobilisation des femmes de chambre de l'hôtel Ibis Batignolles) fournissent des points d'appui pour imaginer un réarmement du mot classe sans affaiblir les autres.
L'histoire de l' enfance irrégulière est massivement habitée de femmes, très souvent anonymes. Huit contributions inédites, toutes signées d'historiennes, entendent restituer leur rôle, promouvoir leur visibilité et questionner l'histoire genrée du travail, de l'éducation et du care.
Éducatrices, travailleuses sociales, juges des mineur·es, militantes antialcooliques, directrices de foyers ou d'institutions pénitentiaires, psychanalystes, pédagogues ou nourrices. Voici plusieurs métiers de l'enfance , massivement et traditionnellement investis par des femmes souvent anonymes et dont l'histoire n'a retenu que de rares grandes figures.
Huit contributions inédites, toutes signées d'historiennes, restituent le portrait incarné de professionnelles de l'enfance, entre la deuxième moitié du xixe siècle et le xxe siècle, en Pologne, en Suisse, en Égypte ou en France. Qu'elles soient mères de famille, mariées, veuves ou célibataires, de condition modeste, ayant ou non reçu une formation, elles ont fait métier d'instruire, d'éduquer, de juger, de soigner, d'observer et de comprendre. Leurs parcours pionniers, qui ont souvent été aussi émancipateurs, ont laissé peu de traces et d'archives.
Écrire cette histoire des femmes ne consiste pas seulement à édifier un panthéon de grandes figures féminines. Il s'agit aussi de questionner les moyens dont on dispose pour reconstituer leurs trajectoires et le paradoxe de leur invisibilité au prisme du genre.
D'alpage en verger : l'ethnologue du dehors et arpenteur Martin de la Soudière, remarqué notamment pour son superbe Arpenter le paysage (2019), livre ici un abécédaire personnel et nourri de littérature des motifs paysagers.
D'alpage en verger, de bocage en sommet, d'étang en marais... Voici quelques-uns des motifs qui marquent en profondeur le territoire de la France tout comme les paysages intimes de l'ethnologue et arpenteur Martin de la Soudière. Dans cet abécédaire délibérément parcellaire, il en a répertorié vingt-deux et les décline de manière généreuse et joyeuse, selon cette approche qui lui est propre, personnelle et polyphonique, autant littéraire que géographique.
Ces motifs paysagers sont aussi des lieux : non pas des hauts lieux, mais des lieux ordinaires, des lieux communs en commun. À la fois singuliers et emblématiques, ils nous interpellent, renvoyant ainsi plus largement à notre culture de l'espace et de la nature. Cet ouvrage est aussi un appel à se rendre sur place, non comme un parcours fléché en suivant un guide, à la recherche du pittoresque, mais comme une promenade buissonnière, à l'écoute de nos sensibilités collectives et individuelles.
Si les populations romani constituent la plus grande minorité ethnique d'Europe (12 millions de personnes), elles font l'objet, hier comme aujourd'hui, de nombreuses discriminations. Tout en mettant l'accent sur l'antitsiganisme contre lequel toutes luttent, il s'agit cependant ici de faire connaître, d'affirmer et de revendiquer la richesse et la diversité des cultures romani.
Barvalo : riche et par extension fier en langue romani. Ce mot a valeur d'étendard et défend neuf siècles de présence européenne et d'affirmation culturelle, tout en s'intéressant à l'histoire et à la diversité des populations romani. Si celles-ci constituent la plus grande minorité ethnique d'Europe, elles font, aujourd'hui encore, l'objet, de nombreuses discriminations. L'exposition Barvalo , comme cet ouvrage qui l'accompagne, entend renverser les regards et lutter contre les stéréotypes et un antitsiganisme pluriséculaires.
Identifier et valoriser l'héritage et le patrimoine romani, dans les musées comme dans l'espace public, mener une réflexion contrastée sur les notions d'appartenance et d'identité, tels sont les enjeux de ce travail ambitieux. Pour la première fois dans un musée national en France, un projet concernant les populations romani est conçu avec elles, de manière collaborative ; il est né du travail d'un comité composé de dix-neuf personnes d'origine romani ou non, de nationalités et profils différents. Entièrement bilingue français-romani, ce livre témoigne également de la richesse des cultures romani et de la fierté des différentes communautés à contribuer à la diversité culturelle des sociétés européennes ; il s'agit d'affirmer haut et fort : Barvalo .
Le 4 février 1970, une explosion à la mine de Fouquières-lès-Lens provoque la mort de 16 travailleurs. S'ensuit une longue mobilisation des mineurs, syndicats, de la Gauche prolétarienne, intellectuels, artistes, ingénieurs et médecins... Cet épisode méconnu est aussi annonciateur de nouvelles modalités de luttes dont les soulèvements contemporains sont héritiers.
Le matin du 4 février 1970, une explosion dans la mine de Fouquières-lès-Lens provoque la mort de 16 travailleurs. S'ensuit une longue mobilisation dont la tenue d'un tribunal populaire à Lens le 10 décembre, sous l'autorité de Jean-Paul Sartre, constitue le point d'orgue. Une multitude d'acteurs prennent part à ce combat : mineurs et syndicalistes, intellectuels et maoïstes de la Gauche prolétarienne... Tels des lanceurs d'alerte, médecins hospitaliers et ingénieurs de l'École des mines, s'appuient sur leur savoir pour dénoncer la condition des mineurs ; un collectif de peintres (parmi lesquels Fromanger et Aillaud) soutient les familles des victimes en réalisant et vendant des oeuvres... Les nombreuses archives présentées dans ces pages, des photos aux affiches, des minutes du procès aux tracts, les voix, les visages, restituent de façon sensible la dramaturgie de l'événement et l'épaisse couche de discours qu'il a généré.
En marge des grandes dates de l'histoire, cet épisode opère ainsi une mutation majeure. La scénographie et les figures bien connues de la longue succession des drames miniers sont bouleversées par de nouvelles modalités d'action, d'inédites prises de parole et un renversement de la violence légitime. Une lutte qui résonne fortement avec certains soulèvements contemporains.
Qui veut éclairer les ressorts sensibles de la vie sociale doit affronter un jour ou l'autre le vaste continent de l'indifférence, de la désaffection, de l'absence de sentiment. Ce numéro anniversaire de Sensibilités lui en donne l'occasion. En rappelant, d'abord, que le contraire de l'émotion n'est pas tant la raison que l'insensibilité précisément : aux êtres comme aux choses.
Et l'on songe ici à ces indifférences logées au creux du quotidien. Celles qui se sont installées dans nos vies face à l'incessant chaos du monde, dans nos rues au contact de la misère sociale et affective, au sein de mégalopoles travaillées par la montée de l'individualisme. Mais cette puissance d'inattention trahit aussi, outre nos refus de voir et nos lâchetés partagées, l'anesthésie d'une sensibilité sur-sollicitée par l'information continue.
Observer l'insensibilité, c'est aussi entrevoir d'autres formes de sensibilités, parfois plus aiguës, plus intenses. L'insensibilité d'ailleurs, loin d'être seulement subie, peut être aussi désirée. Elle relève alors d'un travail, d'un façonnement des esprits et des conduites. Qu'il s'agisse des techniques d'endurcissement enseignées dans les casernes, de la distance émotionnelle minimale nécessaire aux soignants à l'hôpital ou encore de la surdité des savants à la souffrance animale dans leurs laboratoires. Plus paroxystique encore : celle de l'ascète, qui s'élève grâce à la négation de son corps ; celle du bourreau, qui ne s'exécute qu'en voulant congédier l'émotion.
L'insensibilité, degré zéro de la sensibilité, vraiment ?
Depuis quelques années, les mots « décolonial » et « décolonialisme » ont fait leur apparition dans le débat public français : dans les tribunes, discours, essais ou encore éditoriaux divers. Ils y occupent une place très particulière, celle du mot qui divise en prétendant défendre l'unité, celle du mot qui agit en prétendant se contenter de décrire, celle de la victime contre l'ennemi qui menace.
Comme nombre de titres de la collection Le mot est faible, l'objectif de l'ouvrage est de réussir à tenir ensemble et à montrer dans leur complexité, dans un essai très argumenté, les transformations de la visibilité de certaines approches épistémiques contre-hégémoniques à l'échelle mondiale (le mouvement décolonial n'étant pas le seul existant, mais sans doute l'un des plus repris actuellement dans d'autres régions du monde, notamment en raison de son affinité sémantique avec l'idée de décolonisation) et les logiques de résistance - politiques et intellectuelles - qui s'exercent en France à l'égard de ces transformation en raison de l'homologie discursive entre la défense de l'universalisme républicain et la défense de l'universalisme scientifique dans une version calquée sur le « point de vue de nulle part ».
L'ouvrage ne vise pas à s'engager pour ou contre telle ou telle approche. Il essaiera non pas de rester neutre, mais de plaider pour un engagement académique (peut-être plus assumé que l'engagement intellectuel qui se pratique au nom d'idées universelles sans dire son nom propre), tout à la fois réflexif et situé, attentif à saisir à quel point et de quelle manière l'ethnocentrisme - pas seulement eurocentré - invite au binarisme pour mieux essayer de réfléchir aux conditions de possibilité de l'instauration d'un dialogue scientifique plus large, ouvert au(x) monde(s) et à une forme d'universalité différente (qu'on l'appelle « pluriverselle » ou tout simplement « plurielle »)
Chiffres de contamination, nombre de chômeurs, nombre de réfugiés, montant de la dette publique...
Si les chiffres sont omniprésents dans nos sociétés, que nous disent-ils réellement ? De quoi parlent-ils exactement ? Davantage qu'une vérité sur le monde, ils révèlent nos besoins de nous coordonner, de trouver des manières de faire des choix et de disposer de conventions pour nous entendre. Ils nous parlent d'une multitude de choses qu'ils contribuent en permanence à créer. Fruits de l'activité humaine, ils expriment et matérialisent nos choix, nos valeurs, nos conventions : les chiffres sont des objets sociaux et humains, et non des données naturelles s'imposant à nous. Tout l'objet de cet ouvrage est ainsi de prendre la mesure des dimensions conventionnelles, sociales et politiques des chiffres, en identifiant les enjeux de pouvoirs auxquels ils sont associés. Ce déchiffrage permet de reprendre conscience des choix qui les fondent, de mieux comprendre leurs portées réelles et qu'ils doivent redevenir les objets politiques qu'ils sont en réalité, objets politiques qui doivent être aussi accessibles au débat démocratique. Il faut donc retrouver une capacité à déchiffrer les chiffres, en ne se laissant pas intimider par l'autorité que leur confère leur apparente naturalité ou les pouvoirs qui les promeuvent.
Nageeb Arbeely, interprète à Ellis Island, Boulos Kaouan et César Tasso, pisteurs à Marseille, la jeune Amelia Beshara, un colporteur en Alabama, le poète Khalil Gibran... Autant de visages présents sur la couverture de cet ouvrage. Ces femmes et ces hommes ne se sont pas forcément croisés, mais ont en commun d'avoir vécu ce moment si particulier et peu exploré de l'expérience migratoire qu'est le transit.
Venant du Liban ou de Syrie entre les années 1880 et 1914, leur trajectoire les fait s'arrêter et vivre durant des étapes plus ou moins longues dans les ports que sont Beyrouth, Marseille, Le Havre et New York. Dans un récit très incarné, nourri de ces parcours singuliers, l'historienne Céline Regnard s'est attachée à privilégier le point de vue des migrants, écrivant une histoire à hauteur d'hommes et de femmes. Ce sont également une multitude d'autres acteurs et d'actrices, un monde institué et/ou parallèle dans les villes-ports concernées, qui entrent en scène : passeurs, bateliers, pisteurs, logeurs, mais aussi médecins et policiers ; en effet, cet entre-deux que représente le transit est un moment de contact singulier et particulier entre ces migrants syriens, souvent vêtus à l'orientale et parlant arabe, et les populations occidentales. Si les regards portés sur eux sont multiples, de l'empathie à tendance paternaliste à l'inquiétude, les Syriens produisent également dans ces moments de passage des représentations d'eux-mêmes et des autres.
Des expériences et un monde qui paraissent bien lointains, mais qui résonnent pourtant fortement avec notre présent, à l'heure des frontières qui se ferment et des contrôles renforcés, quand les transits se prolongent pour devenir des impasses ou des rétentions...
« On ne peut pas accueillir toute la misère du monde » : qui n'a jamais entendu cette phrase au statut presque proverbial, énoncée toujours pour justifier le repli, la restriction, la fin de non-recevoir et la répression ? Dix mots qui tombent comme un couperet, et qui sont devenus l'horizon indépassable de tout débat « raisonnable » sur les migrations.
Comment y répondre ? C'est toute la question de cet essai incisif, qui propose une lecture critique, mot à mot, de cette sentence, afin de pointer et réfuter les sophismes et les contre-vérités qui la sous-tendent.
Arguments, chiffres et références à l'appui, il s'agit en somme de déconstruire et de défaire une « xénophobie autorisée », mais aussi de réaffirmer la nécessité de l'hospitalité.
Enfants-soldats, enfants cachés, déplacés, réfugiés, détenus ou déportés, orphelins de guerre... les enfants en temps de guerre, séparés de leur milieu familial sont à la fois victimes et acteurs de l'histoire. C'est l'un des enseignements de la recherche foisonnante sur la figure de l'enfant dans la guerre, crucial pour comprendre le vécu contemporain de millions d'entre eux.
Cachés, déplacés, réfugiés, déportés, orphelins, adolescents combattants... La séparation de la famille est l'un des aspects majeurs de ce que la guerre fait aux enfants. En plongeant dans les archives d'administrations internationales ou étatiques, dans celles d'institutions éducatives ou humanitaires, ainsi que dans des sources produites par les enfants eux-mêmes, les articles réunis dans ce numéro étudient à plusieurs échelles les expériences enfantines de cette séparation pendant et au lendemain de différents conflits du xxe siècle. Les autrices, spécialistes de l'histoire de l'enfance et des conflits contemporains, explorent la rupture des liens familiaux mais aussi leur reconfiguration. Elles interrogent les enjeux que cristallise cette jeunesse, en particulier lors des sorties de guerre, où elle peut autant inquiéter qu'incarner le monde nouveau qui doit émerger des ruines. Elles questionnent les traces que peut laisser cette dislocation familiale dans la mémoire et l'itinéraire des individus qui l'ont vécue.
À l'heure où l'Europe peine à accueillir dignement de jeunes migrants ou mineurs non accompagnés chassés de chez eux par les conflits armés, à l'heure où elle redécouvre sur son propre sol la guerre et ses conséquences sur les plus jeunes, penser l'expérience enfantine de la séparation en temps de guerre s'avère indispensable.
La première monographie consacrée au travail de l'artiste Benjamin Sabatier.
Cette monographie dédiée à l'artiste Benjamin Sabatier revient sur l'ensemble de son oeuvre depuis sa performance séminale 35 heures de travail au Palais de Tokyo, en 2001, jusqu'à ses expositions les plus récentes. Venant célébrer ses vingt ans de carrière, l'ouvrage adopte la forme d'un inventaire pour témoigner au plus près de l'esthétique ludique et engagée qu'il n'a eu de cesse d'expérimenter au carrefour de l'art et du bricolage.
Cela dit, au-delà du goût que Sabatier se découvre désormais pour les couleurs éclatantes, s'il y a quelque chose sur lequel insister concernant son esthétique globale afin d'en suspendre, pour le moment, l'inventaire, c'est qu'il expérimente sans relâche depuis le début des formes à partir de biens de consommation, de matériaux et d'outils de construction qu'il est facile de se procurer, jouant avec leurs assemblages possibles encore et toujours jusqu'à ce qu'il estime avoir épuisé en pratique une série donnée, mais la recyclant ou la développant systématiquement dans la suivante. Cela faisant, il célèbre ouvertement l'amateurisme éclairé comme solution contre l'aliénation du travail, vers l'émancipation, laissant à chacun d'entre nous le soin de nous réaliser à notre tour à travers l'acte créateur, c'est-à-dire en faisant de l'art nous-mêmes de manière autonome et ludique. Violaine Boutet de Monvel
Après des études de philosophie et différents postes dans l'édition, Baptiste Lanaspeze, l'auteur de ce livre, a créé en 2009 Wildproject à Marseille, une maison pionnière dans la diffusion des pensées de l'écologie et de la philosophie environnementale. Dans une époque de prolifération parfois cacophonique des discours sur l'écologie et la crise en cours, ce livre a été conçu comme une boussole pour s'orienter. C'est aussi une tentative de synthèse d'une vie intellectuelle, professionnelle, psychologique et politique. Tout en s'appuyant sur des lectures et références philosophiques et scientifiques non occidentales en grande partie et muries depuis une vingtaine d'années (citons notamment l'historien powatan Jack Forbes, l'écologue japonais Kinji Imanishi, l'historien camerounais Achille Mbembe ou encore la philosophe et écoféministe indienne Vandana Shiva), le texte témoigne aussi d'une trajectoire, du mouvement d'une génération.
En redéfinissant la nature comme la société des vivants, les pensées de l'écologie nous invitent à penser nos organisations sociales non pas comme une prérogative spécifiquement humaine, mais comme des prolongements des sociétés animales et végétale. Nos sociétés humaines ne transcendent pas les autres sociétés terrestres, mais y sont intégrées, elles en découlent, et elles lui sont redevables. Tout en s'adossant à l'idée d'un sens ancien de la nature comme « monde vivant dont nous faisons partie », il s'agit cependant ici de « recharger » l'idée de nature par les avancées des pensées écoféministes et décoloniales. Il s'agit même d'un enjeu majeur pour l'auteur : « une lutte écologiste conséquente est nécessairement décoloniale ; et inversement ».
Au risque d'une crise de confiance sans précédent des citoyens dans l'État dont ils interrogent désormais la légitimité « publique », c'est-à-dire la capacité, voire la volonté, de se faire le relai des intérêts collectifs, et de protéger les citoyens. L'état général d'impréparation dans lequel s'est trouvé l'État au commencement de la pandémie aura servi ici de révélateur ; jetant une lumière crue sur l'action des gouvernements précédents qui avaient suivi une politique de réduction des coûts et d'efficacité gestionnaire au risque de priver les services hospitaliers des masques et des lits d'hôpital nécessaires. Dès lors que le gouvernement ne paraît plus agir en « pouvoir public », plus rien ne semble justifier l'exception étatique qui confère à cette organisation politique un statut dérogatoire et des pouvoirs exorbitants. C'est du reste cette tension qu'a révélé le mouvement des Gilets jaunes, marqué tout à la fois par des attentes fortes à l'égard de l'État des services publics (en termes de qualité et d'égalité d'accès aux hôpitaux, aux transports publics, etc.), et une défiance inédite à l'égard de gouvernants tenus pour responsables de l'échec de l'État à tenir ses promesses « publiques ». Cette crise de confiance ne pouvait pas tomber plus mal alors que nous avons collectivement besoin d'un État et d'une Union européenne capables de conduire, au nom de tous, la conversion écologique de nos sociétés et de nos économies, et alors que nous devons faire face aux conséquences sanitaires, mais aussi économiques et sociales profondes de la pandémie Covid. Manière de dire, en somme, que la réflexion sur le « public » et les liens qu'il entretient avec l'État forme aujourd'hui un préalable à toutes nos discussions sur le changement d'orientations des politiques publiques. Les nouvelles théories démocratiques l'oublient parfois, toutes occupées qu'elles sont à faire apparaître de nouveaux horizons mobilisateurs - qu'il s'agisse de la transition écologique ou des nouvelles formes de démocratie participative. Mais, sans réfléchir à ce que l'État est devenu au fil des trois dernières décennies, ni aux chaînes de dépendance dans lesquelles il inscrit aujourd'hui son action, elles s'exposent au décalage en faisant comme si l'État était ce simple « levier » disponible et mobilisable pourvu qu'on veuille bien lui donner le sens politique voulu. Or il y a précisément lieu d'en douter. C'est pourquoi il faut reprendre le fil du « public » et remettre sur le métier une notion qu'on avait paresseusement abandonnée comme une vieille relique. Il faut faire l'inventaire des glissements de terrain qui se sont produits depuis trente ans et ont fragilisé les soubassements publics de l'État, décrire leurs effets politiques et démocratiques, et explorer les voies possibles d'un nouvel esprit public du gouvernement.
Au cours de sa détention, entre avril 2018 et octobre 2019, l'ancien président brésilien Lula a reçu près de 25 000 lettres de soutien de citoyens ordinaires.
Femme de ménage ou professeure à l'université, maçon, étudiant, agriculteur ou paysan sans terre, infirmière et ouvrier métallurgiste, tous témoignent leur solidarité et leur gratitude. En toile de fond, se déroule la campagne pour la présidentielle de 2018 au terme de laquelle Bolsonaro sera élu, dans un climat de violence et d'inquiétude qui se propage. Les lettres se font l'écho d'une parole populaire empreinte de ferveur, de solennité et de familiarité. Elles racontent, remontant souvent plusieurs générations, des histoires de vie, le travail, la misère, l'expérience de la faim, la fierté de l'ascension social et de faire des études...
De façon vibrante, sensible et implacable, ce document exceptionnel forme un récit choral du Brésil contemporain. Il dit en somme à quel point l'invention d'un État providence change la vie des gens.
Du sexisme ordinaire (ces petites remarques que certains considèrent comme des traits d'humour), qui d'ailleurs touchent femmes comme hommes, aux violences sexuelles, de la question d'une « nature masculine » du sport à celle de la féminité des sportives et des actrices du sport (nécessité ou pas ?), Béatrice Barbusse décrypte pas à pas, s'appuyant sur des cas concrets et sur son propre vécu, la réalité de l'ancrage du sexisme dans ce milieu qui est pourtant « le mariage le plus harmonieux entre notre culture de la concurrence et notre culture de la justice » (Alain Ehrenberg).
Pour aborder l'avenir, l'autrice explore aussi les lents changements en cours et les combats à mener, tels celui de la médiatisation, fondamentale pour une reconnaissance symbolique, ou encore celui de la féminisation de l'encadrement. Autant de luttes nécessaires qui ne pourront aboutir que si l'on intègre pour toutes et tous une sensibilisation à la question de l'égalité des genres et que si l'on parvient à faire prendre conscience au plus grand nombre, hommes et femmes confondus, la prégnance des stéréotypes dans nos façons de penser, de parler, de se comporter tous les jours.
Pour cette nouvelle édition revue et augmentée, l'autrice a écrit un avant-propos inédit, revenant notamment sur la réception du livre et sur l'effet libérateur qu'il a pu avoir auprès des femmes (mais aussi de certains hommes) de sport, suivi de la vague #Metoo et également des diverses révélations de violences sexuelles qui ont eu lieu dans différentes disciplines (patinage, équitation, presse sportive...). L'ensemble du texte est également actualisé, notamment sur les données chiffrées, mais aussi par l'ajout de nouveaux témoignages de terrain et d'avancées récentes.
Partout, des plateaux de chaînes info aux tribunes des grands hebdomadaires, des interviews présidentielles aux phénomènes de librairies, on dresse le même constat : l'universalisme, indissociable de l'esprit français, pilier de la République, ferait face à un péril mortel.
Dans le storytelling qui structure le discours politico-médiatique en France, l'antiracisme présentable d'antan, validé par les partis de gauche pour son ambition universaliste - lutter en même temps contre toutes les haines collectives en intégrant tout le monde - se verrait supplanter par un antiracisme « décolonial », « indigéniste » et « catégoriel », dont la grille de lecture serait « racialisante ».
Si ce nouvel antiracisme est perçu comme une menace pour l'universalisme, c'est parce que ses promoteurs joueraient avec le feu communautariste. L'antiracisme 2.0 serait ainsi un racisme déguisé, utilisant des concepts essentialisants qui ne valent guère mieux que les théories de la suprématie blanche. Idiots utiles du soft power américain ou apprentis-sorciers de la gauche radicale, ses idéologues formeraient avec l'extrême droite une « tenaille identitaire » visant à renverser l'ordre républicain, en déclenchant rien moins qu'une guerre des races.
Mais de quel universalisme parle-t-on ? Dans quelle mesure le concept fait-il l'objet d'un monopole intellectuel ? Pourquoi ceux qui se pensent et se disent universalistes sont-ils convaincus qu'il n'en existe qu'une seule forme - celle qu'ils professent ? Et comment expliquer l'équivalence morale entre racisme et antiracisme qui sous-tend leur axiomatique ?
Telles sont les questions qui sous-tendent cet essai qui se veut à la fois une critique de la raison pseudo-universaliste et une approche de l'universalisme postcolonial, ou créolisé. Repenser l'universalisme classique, ce n'est pas réveiller le démon du particularisme, de la pureté biologique et des passions fascistes. Ce n'est pas non plus tomber dans le piège de l'identité comme fondement de toute légitimité, ni couper la République en deux. C'est, tout au contraire, chercher le chemin d'un humanisme à la mesure du monde.
Année entre deux eaux de la période appelée "Révolution française", 1797 est ce moment où l'orage révolutionnaire laisse place à un ciel de traîne aux mille gouttelettes, de l'enfant sauvage de l'Aveyron à Germaine de Staël, de la théorie des nuages de Luke Howard aux premières images mobiles de Carmichael et au déclic poétique de Stendhal...
La météo, ce n'est pas seulement le temps qu'il fait, ni la science qui a pour fonction d'en prévoir les variations. La " science des météores ", est selon Anouchka Vasak un modèle pour penser, et en particulier, pour penser l'histoire faite de passages insensibles, de rémanences ou de résistances.
En douze chapitres, ce livre propose d'éprouver cette méthode atmosphérique. Il s'agit de penser non en termes de rupture mais de glissements, comme les masses d'air ou les nuages se déplacent de proche en proche. Plus spatial que temporel, moins linéaire que chaotique, le modèle météorologique est ici appliqué à l'année 1797. Anouchka Vasak l'a choisie précisément pour sa couleur intermédiaire, dans l'après-coup de la Révolution, entre crépuscule de l'ancien monde et aurore du monde nouveau.
Les douze stations du tour de l'année 1797 sont autant d'arrêts sur images choisis subjectivement, souvent dans les marges de la grande histoire. Ce sont des moments-clé de l'histoire culturelle au sens large (littéraire, esthétique, histoire des sciences...), française mais aussi européenne : première apparition de l'enfant sauvage de l'Aveyron ; mise en question des classifications, en psychiatrie comme en biologie ; état de la langue en 1797 (les effets de la " tempête " révolutionnaire sur la langue) ; nouvelles images (premier modèle noir dans la peinture française, premières images mobiles, débuts de la peinture de plein air, exploration des monstres avec les Caprices de Goya) ; nouveau regard sur les " grands hommes " des Lumières ; émergence de femmes sur la scène publique et politique (Mary Wollstonecraft, Théroigne de Méricourt, Germaine de Staël) ; pulvérisation de la représentation du paysage et de la subjectivité. L'autrice convoque la matière de récits de cas, rapports administratifs, lettres ou notes de voyage, peintures, dessins, croquis parfois griffonnés sur un coin de table ou saisis sur le vif. Autant de motifs infinis pour inviter le lecteur à repeindre les nuages de l'histoire.
Enquêter sur « la guerre transmise », c'est explorer un territoire immense. Celui de la guerre elle-même, bien sûr, elle que nous pouvons tenir pour la plus importante épreuve collective que puisse traverser un acteur social - au point d'ailleurs qu'elle imprime parfois sa marque jusqu'aux heures ultimes de sa propre vie. Mais c'est aussi, d'un même élan, interroger sa transmission : par les liens puissants qu'une guerre tisse avec celles qui la précèdent ; à travers la parole des témoins, les oeuvres de écrivains, des cinéastes, des artistes ; par l'École, les musées et le politique. Elle descend ainsi les filiations par le jeu des mémoires familiales, d'une génération à l'autre, puis de celle-ci aux suivantes. Elle se transmet également par les historiens, qui font de la guerre récit, et qui oublient parfois que c'est en disant la guerre qu'est née leur discipline. Elle se transmet enfin - et peut-être surtout - par le silence, ce que les spécialistes de la psyché savent mieux que les historiens.
Dans cette dixième livraison de Sensibilités, ces derniers posent ensemble leur regard sur les expériences de guerre d'autrefois et les modalités de leur transmission sur la longue durée. Mais plutôt que de les scruter en parallèle, ce numéro tente surtout d'organiser une interlocution véritable entre approches disciplinaires, sans jamais perdre de vue le rapport personnel des chercheurs en sciences sociales ou des explorateurs de la psyché aux objets qu'il analyse.
Avec : Janine Altounian, Stéphane Audoin-Rouzeau, Jeanne Bernard, Julien Blanc, Françoise Davoine, Hélène Dumas, Pierre Judet de La Combe, Rithy Panh, Jean Rouaud, Karine Rouquet, Henry Rousso, Emmanuel Saint-Fuscien, Olivier Saint-Hilaire, Nicolas Werth.
40 ans après sa découverte, le VIH circule toujours et 36 millions de personnes en sont mortes. Si les traitements antirétroviraux permettent désormais de vivre avec la maladie, on compte toujours un million de décès chaque année dans le monde. Les nouvelles contaminations ne cessent pas et la maladie reste celle des minorités et des sociétés vulnérables.
En pleine pandémie de Covid-19, la réalité de l'épidémie du sida est présentée dans une exposition au Mucem, qui retrace son histoire sociale, et dont ce livre, en co-édition avec le Mucem se fait l'écho. Son apparition et sa propagation dans les sociétés contemporaines ont provoqué des bouleversements intimes et sociaux, révélé des fractures et suscité des luttes historiques. Notre société porte les héritages de ces luttes, mais aussi les persistances des disparités engendrées ou révélées par le VIH/sida. Les luttes se poursuivent, pour briser le silence, éviter les nouvelles contaminations et réduire les inégalités, notamment en termes d'accès aux traitements.
L'exposition s'appuie sur le riche fonds d'objets et d'archives du Mucem, constitué dans les années 2000 par le biais d'une enquête ethnographique menée sur le thème de l'histoire et des mémoires des luttes contre le sida qui a permis la collecte de nombreuses traces de ces luttes, en France, en Europe et en Méditerranée. Des banderoles, tracts, affiches, revues associatives, brochures de prévention, vêtements, badges, rubans rouges, boîtes de médicaments, photographies et oeuvres d'art ont été portés à l'inventaire (soit 12 000 pièces).
Le Mucem a conçu cette exposition en étroite collaboration avec des soignants, des personnes vivant avec le VIH, des chercheurs et des militants. Le catalogue de l'exposition est donc nourri du fonds iconographique dense constitué par le musée, autant que des réflexions partagées et du processus collaboratif qui a permis la conception de l'exposition VIH/sida : l'épidémie n'est pas finie ! .
Le sommaire du catalogue de l'exposition articule une histoire subjective de l'épidémie avec plusieurs récits de la collecte, pour permettre aux lecteurs et lectrices d'entrer dans un dialogue entre le point de vue des acteurs et celui du musée. Il a l'ambition de dresser un bilan des conséquences sociales de l'épidémie et des luttes qui lui sont opposées, pour inscrire cette histoire dans un cadre patrimonial et questionner la place de son héritage
L'appartement new-yorkais de l'artiste Arleen Schloss a vu se succéder, à partir d'octobre 1979, les expérimentations d'une tribu improbable entre no wave, poésie sonore et arts visuels. Ce sont les Wednesdays at A's, dont le programme hybride et radical emplit chaque semaine, dix-huit mois durant, le loft du 330 Broome Street de concerts, performances, lectures ou expositions, toujours animés par une exigence festive.
Pour annoncer les événements, des dizaines de flyers sont réalisés à la photocopieuse par les artistes invités et les amis. Dessins, collages, détournements, jeux typographiques et annotations manuscrites peuplent ainsi un ensemble bigarré de traces vouées à l'éphémère, quoique déjà quelque peu fétichisées par les protagonistes. Ces flyers racontent au plus près l'aventure des Wednesdays at A's, de façon chronologique, comme ils témoignent des préoccupations d'une période fertile où les corps et les machines se rencontrent, au-delà des genres et des disciplines, dans une ville au bord de la faillite.
Baptiste Brévart et Guillaume Ettlinger ont rencontré Arleen Schloss à New York en 2011. Ils ont entamé ensemble un travail archéologique sur cette mémoire évanescente et ils ont rassemblé un grand nombre de documents exceptionnels et inédits. Avec la précieuse contribution de Pauline Chevalier et Guillaume Loizillon, ils retracent ainsi une histoire parallèle des arts à New York dans les années 1980.
Pour la première fois, une histoire de la presse par celle de ses rubriques. Une grande aventure, portée par les meilleur·es spécialistes, littéraires ou historien·ne·s, et qui nous fait parcourir près de deux siècles dans la presse française, tout en s'interrogeant sur la manière dont les supports informent leurs lectrices et lecteurs des événements du monde.
ÉDITO Depuis bientôt deux siècles, la presse française rubrique le monde.
À celles et ceux que leurs vies ne jettent pas sur les grands chemins, elle a apporté et apporte encore, chaque jour, des récits et des images d'ailleurs.
Elle l'a fait très différemment selon les époques. Les choses ne se passaient pas de la même façon avant le télégraphe électrique, avant le téléphone, avant le bélinographe, avant la radio, avant la télévision, avant Internet.
Elle le fait très différemment, surtout, selon les rubriques. On ne raconte pas le monde de la même façon dans le roman-feuilleton, la chronique boursière, la correspondance, le reportage, la mode, le sport, la météo, l'horoscope. On ne le montre pas de la même façon à la Une, en gravures, en photographies, en caricatures, en bandes dessinées.
Celles et ceux qui ont participé à ce livre sont toutes et tous, d'une façon ou d'une autre, des universitaires spécialistes de leurs rubriques et de la façon dont celles-ci ont donné à voir et à lire le monde. Nous leur avons demandé très précisément :
1°) De partir d'un exemple précisément situé : une date, un événement, un journal.
2°) Depuis ce point de vue, nous leur avons demandé de faire l'histoire de la rubrique elle-même, en remontant autant que possible dans le temps et en redescendant autant que possible jusqu'aujourd'hui.
3°) Nous leur avons demandé d'expliquer en quoi chacune de ces rubriques a permis à ses lectrices et à ses lecteurs de saisir - ou pas - la complexité du monde.
4°) Nous leur avons suggéré d'écrire leurs textes comme bon leur semblait, avec le style approprié, car ce livre veut être ce que les journaux sont depuis deux siècles : des espaces de liberté et d'invention.
Nous les remercions d'avoir joué le jeu, en ces temps où les universitaires sont si occupés à des tâches parfois un peu tristes. Ils ont fait, à leur tour, la preuve que le savoir peut être joyeux.
Nous vous présentons ce livre dans l'ordre chronologique des exemples choisis.
Il n'est pas question de prétendre ici que la presse a toujours été une merveilleuse fenêtre ouverte sur le monde. Bien au contraire - et vous vous en rendrez vite compte - elle a souvent été le lieu de solidification des identités locales et nationales. Elle a parfois perpétué des stéréotypes dont nous aimerions nous défaire. Si elle s'est ouverte à la globalité, c'est en raison de mouvements généraux qui, pour une bonne part, la dépassaient.
Mais, avec une grande diversité d'expression, dont ce livre veut rendre compte, elle a aussi fait autre chose, modelant en grande partie notre façon de voir, de comprendre et de ressentir le monde. En ces temps de profonds renouvellements du journalisme - sites Internet, commentaires, fake news - et cependant que la mondialisation fait l'objet de tant de débats, il est important de revenir, attentifs et amusés, sur une histoire qui nous concerne tous.
Marie-Ève Thérenty et Sylvain Venayre
Que serait Michel Foucault sans ses bibliothèques, Galilée sans sa lunette, Jules Maciet sans ses ciseaux, James Prescott Joule sans sa science tactile des températures, Jean Antoine Nollet sans ses expériences mondaines, Pascal sans sa machine arithmétique, Jean Piaget sans son bureau-collection de coquillages, Umberto Eco sans ses déambulations ou encore Marcel Jousse sans ses basculements de chaise ?
Ces savants et scientifiques le montrent : manipuler, observer, ordonner, hiérarchiser, catégoriser, sélectionner, citer ne sont pas des actes uniquement mentaux, intellectuels, discursifs, ils sont aussi pleinement matériels. Ils se déploient dans des lieux dédiés (bibliothèques, laboratoires, observatoires). Ils impliquent des objets et des instruments qui ont été pensés, inventés, fabriqués, pour être manipulés. Ils imposent des gestes, produisent des habitudes corporelles, convoquent des sensations.
Voir les savoirs de la sorte, en prenant en compte cette matérialité, c'est ouvrir la boîte noire de l'ordinaire des manières de faire science, hier et aujourd'hui.